La première décennie de l’Association des résidents du lac Aylmer
La fondation
En juillet 1971, le lac Aylmer était alimenté par la rivière Saint-François avec le Grand lac Saint-François en amont et la rivière Coleraine. C’était un joyau de la région. Mais il cachait un vilain secret : au moins cinq municipalités riveraines, soit Disraeli, Disraeli Paroisse, Garthby, Beaulac et Stratford, permettaient à leurs eaux usées de couler dans le lac. Une sixième municipalité, Saint-Joseph-de-Coleraine, déversait ses eaux usées dans la rivière Coleraine et, par conséquent, dans le lac Aylmer. Au moins mille chalets riverains disposaient d’une boîte de cèdre enfouie dans la terre avec une sortie vers le lac pour éliminer les eaux usées. On comprend que cela causait beaucoup de pollution sous forme de coliformes fécaux.
Préoccupés par la situation, quelques propriétaires riverains (Lorenzo St-Pierre, William K. Macleod Jr. dit « Boots », Laurent Morin et Marcel Paquette) ont invité tous les propriétaires riverains à une rencontre le 15 juillet 1971 au sous-sol de l’église de Disraeli. Lors de cette assemblée, plus de deux cents participants votèrent pour former l’Association pour l’assainissement du lac Aylmer avec Lorenzo St-Pierre comme président, William K. MacLeod Jr. (dit « Boots ») comme vice-président, Laurent Morin comme secrétaire et Marcel Paquette comme trésorier. Ils décidèrent que le lac serait divisé en secteurs avec un directeur par secteur. Les directeurs élus étaient Jean Paul Gingras, Réal Bernard, Edmour Allaire, Paul Samson, Paul-Émile Plante, Maurice Macé et Walter Smith. Ils avaient comme responsabilité de vendre des cartes de membres (au coût de 2 $), de chalet en chalet, dans leur secteur.
Les fondateurs
Le président, Lorenzo St-Pierre, a piloté l’Association dans sa phase provisoire et son incorporation en 1974. Il a pris sa retraite en 1977.
Le vice-président, William K. MacLeod Jr. (dit « Boots »), avait des contacts utiles à Québec et faisait partie de l’entreprise familiale connue sous le nom de « Lynn, MacLeod Engineering » qui opérait une fonderie et un magasin de pièces mécaniques à Thetford Mines. Son père William, le fondateur, avait une ferme laitière à Stratford qui faisait l’envie de la région. Ses bœufs gagnaient des prix chaque année à la foire agricole de Québec. Dans son chalet du lac Équerre, à Stratford, il détenait une impressionnante collection de statues d’églises et autres antiquités ainsi qu’une ancienne salle de barbier.
Maurice Macé a siégé au CA (conseil d’administration) de 1971 à 1982, d’abord comme directeur, puis comme président.
Laurent Morin, secrétaire, était l’âme et le pilier de l’Association. Artiste-peintre diplômé de l’École des Beaux-Arts de Québec, il avait fait carrière dans l’enseignement des arts plastiques avant de prendre sa retraite et de s’établir de façon permanente à Beaulac. C’est lui qui a dessiné le premier logo de l’Association et fabriqué de nombreuses affiches à la main. C’est aussi lui qui préparait chaque année l’envoi (non automatisé!) des 2 000 invitations pour l’assemblée générale. Mais son apport a surtout consisté en la rédaction de très nombreuses lettres aux élus du gouvernement du Québec et des municipalités pour les convaincre d’intervenir afin que cessent les pratiques nuisibles au lac, et ce, jusqu’à son décès en 1980.
La lutte contre les déversements d’eaux usées
La première rencontre du conseil d’administration eut lieu le 19 juillet 1971. La mission, adoptée par résolution, était d’identifier les sources de pollution pour pouvoir s’y attaquer. Les membres décidèrent de cibler les égouts des villes et villages, le niveau d’eau du lac « qui varie de façon alarmante » et les « détritus en provenance de la mine Coupra (sic) Copper Mines. »
Pour commencer, le 22 octobre 1971, le vice-président Boots MacLeod et le président Lorenzo St-Pierre rencontrèrent le ministre d’État responsable de l’environnement, le Dr Victor Goldbloom, et le convainquirent d’entreprendre une étude de l’eau du lac. Selon le communiqué de presse publié par le ministère le 30 mai 1972 après plusieurs échanges de lettres, l’étude allait être effectuée en 1972 et 1973 sous la supervision de la firme d’ingénieurs Bessette, Crevier, Parent, Tanguay & Associés de Montréal.
Le gouvernement reçut le rapport préliminaire sur le relevé et la classification des installations septiques et sur les analyses bactériologiques de l’eau du lac le 21 septembre 1972, mais ce ne fut que plusieurs mois plus tard, le 26 avril 1973, que des fonctionnaires du ministère le présentèrent au conseil d’administration de l’Association. Le rapport fut ensuite présenté à l’assemblée générale annuelle du 4 août 1973, à laquelle assistaient entre 200 et 250 membres, par M. Bundock, du ministère, et M. Tourigny, de la firme Bessette, Crevier, Parent, Tanguay. Ceux-ci firent référence au projet 34, Loi de la qualité de l’environnement, qui recommandait des fosses septiques pour les chalets. Ils proposèrent que les municipalités soient tenues d’adopter la réglementation en ce sens. Je me souviens que, à l’entrée de l’église de Disraeli, il y avait environ quatre grandes cartes du lac présentant les terrains des propriétaires avec, pour chacun, un chiffre indiquant la mesure de coliformes fécaux notée par les techniciens durant l’étude ainsi qu’un code de couleur : rouge, jaune ou vert. Ces cartes suscitèrent un très grand intérêt! Le conseil d’administration de l’Association allait maintenant devoir trouver les meilleures façons de motiver les propriétaires riverains de se mettre à niveau.
En arrière-plan, le conseil d’administration préparait la constitution et les démarches pour une charte. Et l’Association des riverains du lac Aylmer fut incorporée le 19 février 1974.
Après de nombreux suivis, le secrétaire, Laurent Morin, finit par recevoir le rapport final du ministère ainsi qu’une subvention de 6 450 $ pour payer le cabinet d’ingénieurs qui avait réalisé l’étude. Il s’engagea alors à écrire aux propriétaires des chalets pour leur donner les résultats des prélèvements de coliformes devant leur propriété ainsi que des recommandations de mise à niveau de leurs installations septiques. Dans une lettre du 29 novembre 1974 à M. Rosaire Paquet, il écrivit :
« J’ai été élu au poste de secrétaire de notre association et le temps me le permettant, je vais faire tout en mon pouvoir pour sensibiliser tous les riverains, en vue (sic) de l’assainissement et de la conservation de tout l’environnement de notre beau lac. »
Le problème auquel le conseil d’administration faisait face était qu’il n’y avait pas de réglementation concernant les normes d’installations septiques, seulement des recommandations dans la loi. Le conseil d’administration proposa aux municipalités d’adopter une réglementation, mais, comme les membres de l’Association faisaient souvent partie des propriétaires visés, ils démontraient peu d’intérêt. Pendant plusieurs années, Laurent Morin a donc sollicité sans relâche le ministre Goldbloom afin qu’il adopte une réglementation pour forcer les municipalités à agir et à embaucher des inspecteurs.
Les municipalités riveraines du lac Aylmer étaient conscientes qu’elles devaient avoir des installations pour traiter les eaux usées de leurs résidents, mais elles n’avaient pas les ressources nécessaires. Elles dépendaient des subventions du gouvernement provincial. Laurent Morin, malgré cette réalité, persista à inciter le ministère à adopter la réglementation et à aider les municipalités, car, pour lui, c’était la seule façon pour que les eaux usées des riverains et des municipalités soient traitées avant d’arriver au lac. Finalement, le Dr Goldbloom lui annonça le 30 décembre 1974 :
« Puisqu’il est désirable, voire même indispensable, que toutes les municipalités aient une réglementation uniforme sur les fosses septiques, le gouvernement édictera un texte en vertu de la Loi de la qualité de l’Environnement. Le projet de règlement est en préparation par une équipe technique et juridique (…) et devra être prêt avant l’été.
Quant aux subventions, nous les accorderons pour les travaux municipaux, mais pas pour les installations individuelles. »
C’était un pas dans la bonne direction, mais l’Association n’était pas au bout de ses peines. Faisant face, en plus, à l’installation de porcheries dans le bassin versant, Laurent Morin, un peu désespéré, écrivit une longue lettre à Victor Goldbloom le 14 mai 1976. Je cite :
« L’exploitation à outrance a entraîné beaucoup d’erreurs. Un lopin de terre de quelques cent (sic) pieds carrés devenait paradis terrestre (sic) et on le transforme à sa guise et fantaisie. Le laisser-faire est de rigueur. Aucun plan de zonage ou de construction n’existe. Alors, l’aménagement se fait au gré de chacun; construction en terre basse, remplissages qui font disparaître les marécages, les berges sont dénudées pour avoir meilleure vue sur le lac, et quoi encore? »
M. le Ministre lui répondit le 31 août, en s’excusant du retard, que la machine politique et gouvernementale était lente, mais que des résultats ne devraient pas tarder. Il ajoutait que les municipalités du lac Aylmer ne se bousculaient pas pour présenter leur demande de financement et leurs plans pour l’épuration des égouts.
Toujours en vue de faire réaliser une réglementation municipale qui n’arrivait pas du ministère comme promis, Laurent Morin, à la suite d’une résolution acceptée lors de l’AGA du 5 septembre 1976, envoya le texte suivant aux maires et conseillers des municipalités :
« Le constructeur d’un établissement, qui ne peut relier ses égouts au réseau d’égout municipal, s’engage à construire ou faire construire, à ses frais, une fosse septique et un champ d’épuration répondant aux exigences gouvernementales, soit pour recueillir ou épurer les eaux usées, qui seront en provenance de la construction projetée. »
Lors de l’élection provinciale de 1976, le gouvernement changea et le ministre Goldbloom quitta la politique après 10 ans de service public. Sous le nouveau gouvernement, Marcel Léger devint le ministre délégué à l’environnement. Tout fut à recommencer…
Dans sa lettre du 15 août 1978, M. Morin remerciait le ministre Léger de sa visite du 12 août avec certains membres et les maires et en profitait pour lui envoyer la liste des demandes que l’Association réclamait depuis un temps, notamment :
« Pouvons-nous espérer une législation ou loi-cadre, qui régirait l’installation des fosses septiques et qui obligerait toutes les municipalités à se conformer à une réglementation unique? »
Malgré la lenteur de la réaction du nouveau gouvernement, l’Association constata en 1979 des actions sur le terrain. Et, bonne nouvelle, il y avait désormais un ministère de l’Environnement! Le ministre Léger mettait l’accent sur « l’éducation massive des citoyens ». Il y avait une division : la Direction générale de la nature. Dans une lettre de cette division à Laurent Morin datée du 24 mars 1980, Monique Robillard annonçait qu’une réglementation provinciale relative aux installations septiques pour résidence isolée était sur le point de paraître. Le service offrait aussi de l’aide sur le terrain pour les plaintes comme celles évoquées par l’Association.
Laurent Morin mourut peu après, le 17 avril 1980. Dans une lettre aux membres, en septembre 1980, le président Maurice Macé lui rendit hommage :
« … Sa grande compétence, sa connaissance des multiples organismes et associations qui s’occupent des programmes d’assainissement à travers le Québec ainsi que le dévouement inlassable dont il a fait preuve au cours des dix dernières années feront que ce ne sera pas tâche facile que de le remplacer. »
Une grande victoire
Le Courrier de Frontenac du 5 août 1985 rapporte l’annonce, lors de l’assemblée générale annuelle de l’Association du 26 juillet 1985, que « les usines d’épuration des eaux usées de Coleraine et Disraeli ont été mises en opération. La construction des usines de Garthby-Beaulac, Stratford et Saint-Gérard (sic) devrait être complétée avant la fin de 1986. »
Robert Mitchell C.M.
Avec la collaboration de Sophie Morin, petite-fille de Laurent Morin